A la fin des années 1980, des scientifiques adaptent une technologie développée pour les avions de combats soviétiques. Les premières bouteilles d’oxygène pour la haute montagne viennent de naître. L’URSS disparaît au début des années 1990 mais pas les cylindres à oxygène estampillés Poisk. Devenue une entreprise publique, Poisk continue d’inonder le marché naissant des expéditions himalayennes et d’autres secteurs en quête d’oxygène en bouteilles. A la fin des années 1990, la société russe est en position de leader. La grande majorité des bouteilles à oxygène utilisées en haute montagne vient de son usine de la région de St Petersbourg.
500 dollars la bouteille russe
La concurrence est inexistante et les prix sont exorbitants. Encore aujourd’hui, un cylindre d’oxygène russe coûte quelques 500 dollars. A ce prix là, les bouteilles sont réutilisées plusieurs fois. Bien souvent remplies par des fournisseurs peu regardants. Pourtant, on ne fait pas de l’oxygène d’alpinisme comme on fait de l’oxygène médical ou de l’oxygène de plongée sous-marine. Chacun a ses spécificités même si c’est toujours la même molécule qui est comprimée dans la bouteille. « L’air comprimé doit par exemple être complètement sec ; en très haute altitude, le froid gèle la moindre particule d’eau et cette glace bouche les valves et le grimpeur ne reçoit plus d’oxygène » explique l’ingénieur Ted Atkins. Ces bouteilles peuvent donc devenir très dangereuses.
Une société népalaise voit le jour
Pour mieux maîtriser ces problématiques de qualité, s’assurer des délais de livraison et faire baisser les coûts, une société népalaise a vu le jour il y a quelques années, baptisée Top Out Népal. Cette structure, alliance entre l’expertise du Britannique Ted Atkins et les connaissances du terrain de Dawa Steven Sherpa, fils du patron de la puissante agence de trek Asian Trekking, va alors bousculer le leader russe. Depuis le milieu des années 2000, Atkins concevait et vendait des accessoires, notamment des masques à oxygène, adaptés pour fonctionner avec les bouteilles Poisk. Cet ancien de la Royal Air Force a alors travaillé pour développer de nouveaux cylindres et ne plus être dépendant des produits russes.
Une usine installée au plus près de l’Everest
Il a donc fallu construire une usine au plus près des montagnes. Dawa Steven Sherpa explique la localisation : « avec leur gaz sous pression, les bouteilles à oxygène sont délicates à acheminer jusqu’au Népal, puis jusqu’aux points de départ des expéditions. Lorsqu’elles sont produites en Russie ou remplies en Inde ou à Katmandou, leur dangereux transport coûte très cher » et demeure aléatoire. Les délais de livraison ne sont pas toujours tenus. Et peuvent avoir un impact fort sur des expéditions en cours. Alors une usine au pied de la montagne devient vite une évidence.
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Les composants de l’usine sont venus d’Europe et des Etats-Unis, répondant aux dernières normes internationales et les premières bouteilles n’ont pas tardé à sortir de l’atelier. Comprimer de l’oxygène à près de 4.000 mètres, à une altitude où la densité de l’air est réduite, n’est pas une mince affaire mais la petite équipe basée à Khumjung, dans la vallée de l’Everest, est devenue experte.
Un nouveau business model
Désormais, l’idée n’est plus de vendre les cylindres mais bien de les louer. Ainsi, leur traçabilité augmente. Quand ils sont vidés, ils retournent chez le fournisseur qui les contrôle et les remplit à nouveau. Quand ils sont abîmés, ils sont retirés du marché et ne représentent plus de dangers pour les grimpeurs. Avec cette production maîtrisée d’un bout à l’autre de la chaîne, la société Top Out Népal peut proposer des prix 3 fois moins élevés que la concurrence. A ce prix-là, les lodges de la vallée peuvent désormais prétendre à s’équiper et à soigner les trekkers malades.
Un nouveau monopole à venir ?
« D’ici deux ans, on compte convaincre la plupart des compagnies qui opèrent sur l’Everest de travailler avec nous » prédit Dawa Steven Sherpa qui entrevoit un renversement complet de l’industrie de l’oxygène dans la région. Dès le lancement de l’usine, la plus grosse agence d’expéditions du Népal avait déjà opté pour les équipements de Top Out Népal. Il faut dire que l’agence en question n’est autre qu’Asian Trekking, dirigée par le père de Dawa Steven. Lors de la dernière saison, l’agence a emmenée à elle seule près de 40 clients au sommet de l’Everest.
Ce basculement pourrait bien avoir lieu. Un des rares concurrents du secteur a connu une grosse défaillance lors de la dernière saison à l’Everest. La société britannique Summit Oxygen a en effet vu une partie de ses régulateurs (systèmes qui relient le masque à la bouteille) dysfonctionner au-delà d’une certaine altitude. L’agence Alpenglow a ainsi fait face à un quart de régulateurs défectueux. De quoi faire réfléchir quant à la qualité du matériel et regarder de près les offres de la société népalaise qui promet des contrôles qualité à chaque étape de la production.
Illustrations © D.S. Sherpa / © WorldNavigata